Laurent Dumas-Crouzillac, Associé chez Cap Horn Invest
Vous investissez dans des startups qui transforment, par le digital et les nouveaux usages, des marchés traditionnels en pleine mutation. Pouvez-vous citer quelques exemples de ces marchés et le type de mutation qu’ils subissent ?
L’ADN de notre fond, c’est d’aider les entreprises à aller le plus vite et le plus loin possible. Nous nous appuyons sur des individus qui ont des compétences, une expérience, un carnet d’adresse et du temps, pour aider nos entreprises à ouvrir des portes, prendre des bonnes décisions stratégiques etc. Aujourd’hui nous avons un club de 200 personnes qui sont investisseurs chez nous.
Voici deux exemples d’entreprises dans lesquelles nous avons investi. La première s’appelle Finalcad. C’est une entreprise du BTP, qui est un des secteurs les moins digitalisés et qui en France a une productivité du travail en décroissance. Jusqu’à présent, les chefs de chantier allaient faire des relevés de réserves chaque semaine sur le chantier avec classeur et stylo pour mesurer, photographier et faire un rapport aux contractants. Finalcad permet au chef de chantier de faire ses relevés de façon numérisée, sur tablette. Cela a l’avantage que tout le monde ait accès au chantier en temps réel. Grâce au big data, les équipes savent quel type de réserve doivent appeler de la vigilance. En termes de retour sur investissement, on présume que la rentabilité d’un chantier peut être augmentée jusqu’à 7 %.
Le plan sera en BIM (maquette numérique) et les responsables auront une carte d’identité de l’historique de construction du bâtiment, indispensable pour gérer et maintenir le bâtiment.
Un autre exemple de société dans laquelle nous investissons s’appelle Vekia. Le problème des Retailers étant l’optimisation de leurs flux logistiques, ils doivent être le plus possible en flux tendu pour éviter les stocks tampons et améliorer leur BFR. Vekia est une énorme base de données localisée chez le retailer ou dans le cloud, qui en fonction de la consommation des clients prévue et de donnés externes (méteo, période de l’année, …) font une prévision des besoins de stock par point de vente, de façon si précise que l’on arrive à avoir un flux quasi tendu avec des gains de BFR très importants.
On voit bien que sans digitalisation ni big data, ces deux solutions seraient impossibles. On gagne en précision et en finesse, que ce soit sur un chantier ou dans le retail, à la fois sur du qualitatif et du quantitatif.
Pour une start up, quels sont les enjeux de développement, après le stade de l’amorçage ?
Une fois qu’elle a fait son amorçage, une entreprise dispose d’un produit qu’elle vend, de clients et d’une petite équipe qui a besoin d’être structurée. Après un round A, l’enjeu pour elle est la commercialisation de l’outil. Souvent, les financements sont accordés pour permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs de chiffre d’affaires, de récurrence, de développement des produits et de staffing, sans être encore dans des enjeux de rentabilité. Dans un deuxième temps et après des phases d’approximativement un an et demi, il y a souvent des rounds B, C, D…
Quelles sont les évolutions possibles du secteur du capital investissement en France et en Europe pour être au plus près des besoins des entreprises innovantes ?
Il y a là deux sujets. L’un est international et l’autre de terrain. A l’international, aussi étonnant que cela puisse paraitre, il n’y a pas, à ma connaissance, de fond qui permette d’ouvrir des portes partout en Europe. Il y a des fonds qui sont présents dans plusieurs pays, dont certains se disent européens, mais ils n’ont pas vraiment d’horizon européen. Si le besoin des entreprises innovantes est d’avoir un accompagnement de terrain plus proche de leur financier, cet accompagnement se doit à un moment d’être international, ce qui manque aujourd’hui.
Cet accompagnement de terrain, c’est ce que nous essayons de faire avec notre réseau externe. Certains vont plus loin, notamment les fonds américains, qui ont des surfaces plus importantes et poursuivent cette logique d’embaucher des gens avec des compétences spécifiques d’accompagnement et de conseil en interne. Ils vont embaucher un chasseur de tête, un CFO, un expert de la Big Data ou de la cybersécurité. Ces personnes auront des missions de conseil auprès des entreprises en portefeuille pour débrouiller tel ou tel sujet.
En France, certains essaient de faire cela. Mais pour l’instant, c’est assez embryonnaire. J’ai rencontré des fonds américains qui, à peine ont-ils investi dans l’entreprise, dépêchent des équipes de consultants pour mettre en place les meilleurs pratiques du fonds et délivrer de la valeur. A ma connaissance, il n’y a aucun européen qui sache faire cela.
Or je crois que le sens du métier de financeur d’entreprise technologique va vers cela. Avec la maturité du marché et la concurrence, ceux qui gagneront sont ceux qui attireront les meilleures entreprises. Il y a là-dessus deux écoles. L’une va dans cette direction. L’autre, plus assise sur leur renommée, ne souhaite pas changer leurs habitudes professionnelles. Les challengers, dont nous sommes, souhaitent clairement aller vers cela.