Pierre Gattaz: « Se transformer collectivement en Christophe Colomb »

Mr Pierre Gattaz, President du MEDEF, à Paris, le 28 Janvier 2015. Photo by © Christophe Guibbaud
Pierre Gattaz, President du MEDEF, à Paris, le 28 Janvier 2015. Photo by © Christophe Guibbaud

Lors de vos dernières conférences de presse vous évoquez « l’entreprenalisme ».  De quoi s’agit-il ?

L’entreprenalisme, c’est donner la possibilité à tout un chacun d’entreprendre sa vie. Cela peut être fonder une famille, bâtir un club de football, acheter une maison… ou créer son entreprise. L’entreprenalisme est une démarche qui vise à donner de l’espoir mais aussi à permettre de réaliser ensuite son projet. En bref, c’est un espoir qui se matérialise par une concrétisation.

Deuxièmement, l’entreprenalisme est politiquement moins connoté que le libéralisme. Entre un libéralisme qui peut avoir des excès, en termes de financiarisation, de brutalité et un socialisme bien souvent immobile et démotivant, il y a l’entreprenalisme qui vise à redonner la possibilité aux gens de transformer leur projet en « entreprise ». C’est associer la performance économique à l’épanouissement humain. Il s’agit donc d’un libéralisme humain, de sens et de valeur.

Selon vous, la « Troisième révolution industrielle » n’est-elle qu’industrielle ?

C’est une mutation industrielle au sens large du terme, comme on parle d’industrie bancaire ou de service. Le sens large de l’industrie, c’est le fait de créer, de produire et de vendre. C’est la démarche de mettre quelque chose en processus. Cette révolution industrielle, que nous sommes en train de vivre est celle des NBIC- nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Elles vont modifier en profondeur l’industrie elle-même et faire émerger cette industrie de logiciels, de services et de plateformes. Je crois que c’est un tout. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit bien d’une révolution qu’il faut préparer, anticiper et comprendre. Internet va tout révolutionner, y compris la façon dont mon entreprise, Radiall, va fabriquer ses connecteurs et composants.

Parmi les questions que je dois me poser dès aujourd’hui, il y a celles-ci : mes clients vont-ils continuer de m’acheter mes produits dans dix ans, ou vont-ils préférer me les louer ? Est-ce qu’ils ne voudront pas que je les leur donne en contrepartie d’un contrôle des flux à l’intérieur des connecteurs ? Vont-ils évoluer avec des capteurs de données et avec le big data en toile de fond ? Comment vais-je fabriquer ces composants ? Mes clients auront-ils des imprimantes 3D qui leur permettront de fabriquer mes connecteurs sans que je leur livre quoi que ce soit, sauf les logiciels à télécharger ?

A un autre niveau cela interroge la relation que je veux avoir demain avec mes clients, avec mes fournisseurs, avec mes actionnaires. Qu’est-ce que le numérique va changer dans tout cela ? Chaque entreprise est confrontée aujourd’hui à ces questions qui concernent à la fois les produits, les processus, les relations et la stratégie de développement.

Le Medef accompagne les entreprises dans leur transition vers l’âge « numérique ». Quels freins faut-il selon vous lever en priorité ?

Le frein principal, c’est toujours la peur du changement. Pour moi, l’être humain se sent vraiment bien quand cela ne change pas. Cela peut être vrai pour les hommes politiques ou pour certains chefs d’entreprise qui ont vécu 30 ou 40 ans dans un domaine particulier qui n’a pas beaucoup bougé, où l’on a cultivé un business plan et vendu produits et services sans véritable révolution. Ce n’est plus possible aujourd’hui. L’idée est donc d’expliquer cette révolution, qui nous concerne même lorsqu’on produit des composants électroniques. On le voit aujourd’hui avec les taxis, le tourisme, le e-commerce etc.

Enfin je dirais qu’il nous faut collectivement nous transformer en Christophe Colomb. On ne sait pas exactement ce que l’on va trouver au bout du voyage, mais il ne faut pas avoir peur de partir et d’être ouverts. Pour des gens d’une génération plus ancienne, cela revient à oser s’entourer de jeunes d’une génération plus familière de ces changements. C’est en conjuguant le savoir-faire et l’expérience des seniors avec l’innovation et la créativité des jeunes ayant des talents disruptifs qu’une entreprise peut intégrer une précieuse force de transformation et de croissance.